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Dans les charmes de Vercorin, je ne mets pas au dernier rang les histoires de revenants, car on y croit encore, et tout de bon; on ne s’en cache point.

 

Les dragons, les géants, les gnomes, les sorciers, voire les revenants, chassés de partout, se sont réfugiés ici. Ils ont pris leurs quartiers sur les hauteurs et dans les mayens abandonnés, où pensant être sur leurs domaines, ils continuent à tenir la synagogue, et à se livrer aux mauvais tours que l’on sait.

J’ai entendu là-dessus des récits à faire dresser les cheveux sur la tête. Mauvais esprits, taquins et habiles à dérouter les investigations des vivants, que ces êtres mystérieux.

 

Les sons de la cornemuse qui, dit-on, tiennent à distance les loups, ne peuvent rien sur eux. Je pense même en faire un recueil de toutes les anecdotes, agaceries, enchantements et sortilèges qui m’ont été racontés sur leur compte, et peut-être quelque jour le publier pour la grande édification du public et la honte de ces mécréants, qui ne craignent pas de troubler le repos des gens de bien.

 

Les légendes aussi, cette gracieuse poésie des montagnes, ont toujours leur place au foyer.

La génération qui s’en va les transmet à celle qui vient. Avec l’almanach et le livre de messe, c’est toute la littérature des chalets. Sans parler de celles que vous diront les chasseurs de chamois, légendes au parfum de terroir, je pourrais vous en raconter, plus d’une que vous penseriez avoir été empruntée aux fantastiques des faiseurs de fabliaux.

 

Vous plaît-il d’en entendre une ?

Prenons celle de la Ouibra. Elle est courte et ne nous retiendra pas longtemps.

Comme autrefois Shéhérazade, je m’aperçois que la nuit tire à sa fin, et que le jour va paraître. Le temps presse ; il faut donc me hâter.

 

La Ouibra, dont plusieurs peuvent parler de visu, est un immense dragon ailé, dont la tête est ornée d’une couronne de diamants, et qui a établi sa demeure sur les plus hauts sommets d’alentours, séjournant alternativement sur l’un ou sur l’autre côté de la vallée du Rhône.

Selon son caprice, elle se réfugie dans les éboulements de Chandolin, non loin de la Bella Tola, tantôt, traversant la vallée, elle va se percher sur le « Hat de Bellaloë », à quelque distance du village de Lens, ou bien plus haut encore, sur la croupe du Mont Bonvin.

Là se trouve une large crevasse, et au fond de la crevasse, une grotte où coule perpétuellement de l’or en fusion. C’est son gîte favori ; elle y passe même des années entières.

 

Il advint une fois qu’un paysan des environs, poussé par le désir de s’enrichir, voulut profiter d’un jour où la Ouibra était absente, pour descendre dans son antre, et avoir sa part du précieux métal. A cet effet, il se suspendit à une corde, mais celle-ci s’étant rompue avant qu’il fût arrivé au fond, il se trouva dans l’impossibilité de remonter comme il était venu.

La Ouibra, à son retour, eut pitié, semble-t-il, de cet hôte inattendu, car sept ans durant, ils vécurent ensemble, respirant la même atmosphère et partageant la même nourriture, lui ne mangeant, comme elle, absolument autre que de l’or et des minéraux. Cependant, notre homme, qui avait la nostalgie du grand air, et qui depuis longtemps ruminait un moyen de s’échapper de cette prison dorée, eut un jour l’idée de se cramponner à la queue de sa compagne au moment où celle-ci prenait son élan pour sortir. Il se retrouva ainsi sain et sauf au sommet du Mont Bonvin, et se hâta d’aller retrouver les siens.

Mais, n’ayant plus d’or à ses repas, et son estomac ne pouvant plus s’ accommoder du régime frugal des montagnards, huit jours après, il passa de vie à trépas.

 

Quand la Ouibra pond ses petits, elle serait infailliblement dévorée par eux, si elle n’avait pas la précaution de se placer sur la pointe d’un rocher, afin de pouvoir les précipiter du haut en bas des éboulis aussitôt qu’ils sont venus au jour.

Le tempérament irritable de cette mère non moins féroce exigeant l’usage des bains froids, il lui arrive quelquefois, pendant la nuit, de prendre son vol pour venir sur le versant opposé se baigner dans le lac de Lotia, au-dessus de Grimentz.

Grâce à la force de locomotion dont elle dispose, ce trajet aérien s’accomplit en moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter.

Au dire de ceux qui l’ont vue, son passage est signalé par une grande clarté et par la gerbe d’étincelles qui se dégage sa queue. Une fois au bord de l’eau, elle dépose sa couronne sur la rive et disparaît dans l’onde. Mais, malheur au téméraire qui ose la troubler dans ses ablutions…

 

Or, il n’y a pas longtemps, quelque chose comme deux ou trois ans passés, que deux chasseurs de Saint-Martin, passant par une matinée de froidure à côté du lac qui était gelé, s’amusèrent à jeter des pierres à sa surface.

 

Mal leur en prit : aussitôt, une détonation formidable se fit entendre ; la glace s’entrouvrit avec des reflets flamboyants, une odeur de soufre et de feu se répandit dans l’air, et ils virent apparaître la tête colossale d’un animal monstrueux qu’ils ne s’arrêtèrent pas à considérer. Jetant de côté leurs fusils et laissant leurs souliers sur la neige, ils prirent la fuite sans regarder derrière eux.

Le lac appartient à la Ouibra. Nul n’a le droit d’en rompre le silence.

 

    Ecrit en 1886